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Justice en danger : l’espoir des nouvelles technologies !

A l’aube d’une réouverture sans doute très partielle des tribunaux judiciaires pour la plupart fermés depuis le 16 mars on ne peut que s’interroger sur la paralysie de l’institution judiciaire face à cette crise sanitaire sans précédent.
Ne nous y trompons pas : si la justice pénale d’urgence a pu fonctionner durant ces 8 dernières semaines, la machine judiciaire était totalement à l’arrêt, le ministère de la justice s’avérant incapable de s’organiser pour maintenir un service qui est pourtant un pilier de notre démocratie.
C’est sans doute le résultat de dizaines d’années de disette budgétaire dénoncée à cor et à cri par tous les acteurs du monde judiciaire, des magistrats aux avocats bien-sûr et encore récemment à l’occasion de la mobilisation contre la réforme des retraites qui , contrairement à ce qu’en disaient des commentateurs zélés du gouvernement était bien plus qu’un combat corporatiste mais bien un cri d’alarme pour dénoncer la paupérisation d’une profession qui doit demeurer seule debout pour défendre les plus faibles.
La réalité est édifiante : aucun dossier n’a été traité pendant 8 semaines, aucune décision n’a été rendue ou presque, que ce soit en matière pénale pour les affaires dites non urgentes mais aussi en matière civile, familiale ou commerciales pour les affaires qui n’avaient pas trait à la sauvegarde des entreprises. Au-delà des statistiques judiciaires qui interpellent sans doute moins que le nombre terrible de décès journaliers dont nous abreuvent en permanence les chaines d’information, comment expliquer qu’un service aussi essentiel que la justice ne soit pas capable de répondre à une mère, un père qui attend une décision de justice pour voir ses enfants, un prévenu qui attend son procès depuis déjà de longs mois incarcérés dans des conditions sanitaires exécrables et bien sûr les parties civiles qui attendent une juste réparation des infractions dont elles ont été victimes.
Madame BELLOUBET a répondu aux organisations représentatives de la profession d’avocats qu’elle ne pouvait donner d’instruction nationale et que chaque tribunal devait s’organiser comme il le pouvait avec les moyens dont les présidents disposaient. Quel aveu d’impuissance, j’ose le dire quelle honte pour le pays des droits de l’homme ! (hallucinant !)
Et pourtant il était possible d’organiser, comme pour tous les autres secteurs, la poursuite de l’activité de manière certes dégradée , mais en préservant et la sécurité sanitaire des professionnels et l’intérêt des justiciables.
Ce fut possible devant certaines juridictions administratives et commerciales de manière ponctuelle grâce notamment à la volonté et au courage de certains magistrats qui ne pouvaient se résoudre à attendre une hypothétique réouverture des tribunaux.
Tout comme les soignants qui font un travail extraordinaire en dépit du danger permanent de contamination, les auxiliaires de justice que nous sommes avons prêté serment.
Un serment qui nous oblige malgré les difficultés sanitaires à servir nos concitoyens et à leur apporter soutien et écoute et, si cela s’avère nécessaire, une réponse judiciaire.
Des visio-audiences ont été mises en place en matière commerciale notamment et pour avoir eu la chance de pouvoir pratiquer ce nouveau mode d’exercice je peux témoigner de la qualité des débats ainsi organisés.
Il ne s’agissait pas d’utiliser un système informatique gouvernemental qui fait largement défaut (puisque même le RPVA système censé assurer une communication dématérialisée entre avocats et magistrats ne fonctionnait pas), mais bien un système grand public qui a permis la tenue de cette audience.
Ces nouvelles technologies à la disposition de tous qui ont permis à tant d’entreprises d’assurer la continuité de leur activité comme le gouvernement les y incitait tous les jours, peuvent être utilisées par la justice pour peu que son ministère de tutelle en soit le moteur.
Il existe de nombreuses réticences, parfois légitimes, à l’égard de cette dématérialisation du processus judiciaire et il faut évidemment qu’une fois la crise passée, ce mode de fonctionnement soit encadré de manière précise, mais comment ne pas voir l’avantage d’une audience dématérialisée plutôt qu’un report d’une affaire en 2021 et même en 2022 devant certaines juridictions ?
Refuser ce mode de fonctionnement c’est accepter un véritable déni de justice institutionnalisé.
Si nous donnions la parole aux justiciables que nos serments respectifs nous imposent de servir, nul doute qu’ils applaudiraient à l’organisation rapide de visio-audiences plutôt que d’attendre la fin hypothétique d’une crise sanitaire avant de pouvoir voir un magistrat dans une salle d’audience aseptisée.
Il y aura des exceptions évidemment lorsque les circonstances d’une affaire empêcheront qu’elle soit traitée de cette manière. Mais gardons-nous , du côté des magistrats comme des avocats , de refuser par principe ces solutions pour des questions dogmatiques liées à une idée archaïque et fantasmée du fonctionnement de la justice.
A l’époque où le ministère de la justice n’a pas hésité à faire publier le 27 mars en pleine crise sanitaire un décret dit DATAJUST pour travailler sur des algorithmes permettant d’automatiser l’indemnisation du préjudice dans certains dossiers (ce qui est une bonne chose en soit), n’aurait-il pas fallu autoriser, donner les moyens et inciter les juridictions à utiliser les outils de télécommunication existant pour permettre la poursuite du fonctionnement de l’institution judiciaire ?
La fin annoncée du confinement ne conduira pas à la réouverture des tribunaux et à la reprise du fonctionnement que nous connaissions avant le 16 mars.
Il sera encore plus nécessaire demain dans une France traumatisée par le risque de contagion d’organiser une justice qui n’aura rien de virtuelle mais qui permettra un contact télévisuel concret et sécurisé entre juges , avocats et justiciables.
Les moyens existent et commencent à être utilisés. Il faut donc garder espoir, les nombreuses initiatives individuelles de certains magistrats, de certains barreaux le prouvent quotidiennement.
Réveillons-nous : il faut améliorer la dématérialisation des procédures et les mises en état virtuelles en laissant pleinement leur place aux acteurs habituels de la justice, augmenter le nombre de visio-audiences, de débats ou entretiens téléphoniques, qui permettront demain aux justiciables d’obtenir une réponse judiciaire à leurs interrogations, réponses auxquelles ils ont droit, réponses que nos serments respectifs nous obligent à leur apporter.