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L’interdiction de la publicité pour les centres de santé - La fin d’une saga judiciaire

Par une décision en date du 8 mars 2023 [1], la Cour de cassation clôture une saga judiciaire qui a démarré en 2011, en faisant application de l’interdiction législative, déclarée conforme à la Constitution en 2022, de « toute forme de publicité en faveur des centres de santé » [2].

Rappel des faits

À titre de rappel, une association soumise à la loi de 1901 gérait trois centres de santé dentaire tout en employant des chirurgiens-dentistes.

Le Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes (CNOCD) et la Confédération nationale des syndicats dentaires (CNSD) ont sollicité devant les juridictions judiciaires la condamnation de cette association à mettre fin à des actes jugés déloyaux. Le CNOCD et la CNSD estimaient en effet que les actions de communication mises en œuvre par l’association au profit des centres de santé étaient contraires à l’interdiction législative susvisée (Article L. 6323-1-9 du Code de la santé publique) et, partant, constituaient des actes de concurrence déloyale.

Le débat judiciaire s’est rapidement cristallisé sur deux points centraux :

  • Est-ce que le modèle très répandu dans lequel une association sans but lucratif est gestionnaire de centres de santé tout en étant liée à une société commerciale prestataire de services est licite ?
  • Est-ce qu’une telle association peut effectuer des actions de communication ou de publicité au profit des centres de santé qu’elle gère ?

Rappel de la procédure

La procédure dans cette affaire a été particulièrement longue et complexe.

À la suite d’une première décision du Tribunal d’instance de Paris (2013), la Cour d’appel s’est prononcée en cause d’appel sur le fond du dossier (2016).

La Cour de cassation a cependant cassé et annulé cet appel (2017), ce qui a conduit à une seconde procédure d’appel.

Dans une décision rendue en 2021 [3], la Cour d’appel de Paris a jugé que :

  • Le fait qu’une association exploitant un centre de santé dentaire ne dispose d’aucune autonomie par rapport à une société commerciale qui est son seul prestataire pour divers services et équipements n’est pas contraire « aux dispositions législatives et réglementaires applicables aux centres de santé, dès lors que la création des centres de santé est ouvert à des investisseurs privés, que la lourdeur et le coût des équipements nécessaires au fonctionnement de la structure impliquent des investissements importants et qu’un investisseur peut légitimement attendre le fruit de son investissement ».
  • Pour autant, l’association doit s’abstenir de toute démarche ou publicité de nature commerciale « au-delà du recours aux voies de communication électronique, nécessaire à toute activité destinée à un large public ». Pour la Cour d’appel de Paris, la communication de l’association contredisait, au cas d’espèce, cette règle et constituait un acte de concurrence déloyale.

L’association s’est alors pourvue en cassation et a demandé le renvoi au Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité (« QPC ») concernant l’article L. 6323-1-9 du Code de la santé publique, estimant que l’interdiction faite aux centres de santé de faire de la publicité, alors que les professions médicales peuvent y recourir, porte une atteinte injustifiée au principe d’égalité tel que garanti par la Constitution.

Le 3 juin 2022, le Conseil constitutionnel [4] a jugé que l’article litigieux était conforme à la Constitution.

La décision de la Cour de cassation

À la suite de la décision du Conseil constitutionnel, la Cour de cassation s’est prononcée le 8 mars 2023 sur le pourvoi en cassation formé par l’association. Cet arrêt met un terme définitif à cette procédure engagée en 2011.

La Cour a rejeté ce pourvoi au motif que, l’article L. 6323-1-9 du Code de la santé publique étant conforme à la Constitution, la Cour d’appel a jugé à bon droit que «  l’association ne pouvait, sans commettre de concurrence déloyale, recourir délibérément à une publicité à caractère commercial centrée sur ces actes [à savoir, notamment les actes prothétiques] et constituant la partie la plus rémunératrice de la pratique dentaire  ».

Il semble que le pourvoi ne portait cependant que sur cette question, sans que l’autre branche de l’arrêt rendu en 2021 par la Cour d’appel de Paris n’ait été contesté.

La portée de cette décision

Il ressort notamment de cette affaire que :

  • Par principe, les centres de santé peuvent licitement être adossés à des sociétés commerciales prestataires de services, y compris lorsque ces centres sont exploités par des associations loi de 1901.
  • Pour autant, ces centres demeurent soumis à l’interdiction de « toute forme de publicité », en dépit de l’assouplissement dont ont bénéficié les professions de santé sur ce sujet (sous l’influence de la jurisprudence de la Cour de justice).

La conformité de l’interdiction législative de « toute forme de publicité » en faveur des centres de santé au droit de l’Union européenne reste cependant douteuse, la Cour de justice de l’Union européenne ayant précédemment jugé que le droit de l’Union s’oppose à une législation nationale qui interdit de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires [5].


[3Paris, 1er juillet 2021, n°17/15137