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Remise en cause de la position de l’Administration fiscale relative aux modalités de calcul des droits de succession en cas de représentation suite à une renonciation à succession

Cour d’appel de Grenoble, 1ère chambre, 28 novembre 2023, n°22/00320

La Cour d’appel de Grenoble a récemment rendu une décision inédite relative aux effets de la renonciation et de la représentation en matière de droits de succession.

La Cour d’appel apporte des précisions utiles sur le traitement fiscal des donations antérieures de moins de 15 ans dont le renonçant a bénéficiées ainsi que sur les sommes perçues personnellement par le renonçant au titre de contrats d’assurance-vie (dont il était bénéficiaire) souscrits après les 70 ans du défunt.

Dans cette affaire, la défunte, Mme X, laissait pour lui succéder ses quatre enfants majeurs.

Trois de ses quatre enfants ont renoncé à la succession au profit de leurs enfants respectifs (petits-enfants du défunt).

Les trois renonçants (enfants du défunt) avaient bénéficié de donations antérieures réalisées par la défunte moins de 15 ans avant son décès et ils étaient également bénéficiaires de contrats d’assurance-vie souscrits par la défunte après ses 70 ans (et dont les capitaux décès devaient être soumis aux droits de succession en application de l’article 757 b du CGI).

L’Administration fiscale a adressé une proposition de rectification aux héritiers en invoquant une insuffisance dans le calcul des droits de succession de chacun des petits-enfants venant en représentation de leurs parents respectifs.

Selon l’Administration fiscale il y avait lieu de tenir compte pour le calcul des droits de succession et la détermination des tranches d’imposition applicables aux petits-enfants venant en représentation :

  • Des sommes perçues par les pères renonçants au titre des contrats d’assurance-vie souscrits après les 70 ans de la défunte ;
  • Des donations antérieures dont ont bénéficiées les pères renonçants.

L’Administration fiscale soutenait donc que les petits-enfants venant en représentation devaient être imposés dans les tranches hautes du barème progressif des droits de succession (puisque les tranches basses étaient saturées tout d’abord par les sommes perçues au titre des contrats d’assurance-vie souscrits après les 70 ans du défunt et ensuite par les donations-antérieures de moins de 15 ans).

Cette position de l’Administration fiscale paraissait critiquable puisque dépourvue de fondement textuel.

En effet, ni la loi, ni la doctrine administrative, ni la jurisprudence ne précisent qu’il convient de prendre en considération lors de la liquidation des droits de succession dus par les représentants (les petits-enfants) les tranches utilisées par le représenté (parents renonçants) que ce soit au titre des donations de moins de 15 ans ou des sommes perçues au titre de contrats d’assurance-vie souscrits après les 70 ans du défunt.

L’Administration fiscale a néanmoins maintenu intégralement les rectifications envisagées et rejeté les réclamations contentieuses déposées par les héritiers.

Le Tribunal Judiciaire de Grenoble avait en partie donné gain de cause aux héritiers en considérant qu’il n’y avait pas lieu, pour la détermination des droits de succession dus par les petits-enfants venant en représentation, de tenir compte des sommes perçues personnellement par leurs pères respectifs au titre de contrats d’assurance-vie souscrits après les 70 ans du défunt. Le Tribunal avait en revanche considéré qu’il y avait lieu de tenir compte des donations antérieures de moins de 15 ans qui ont bénéficiées aux renonçants.

L’Administration fiscale ayant interjeté appel, la Cour d’Appel a, à juste titre, confirmé ce jugement en considérant que « le tribunal a justement rappelé le principe posé par l’article L. 132-12 du code des assurances aux termes duquel : «  Le capital ou la rente stipulés payables lors du décès de l’assuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers ne font pas partie de la succession de l’assuré.  », pour en tirer la conclusion que les sommes perçues dans ce cadre par les renonçants, par ailleurs bénéficiaires des contrats d’assurance-vie souscrits par leur mère, l’avaient été à titre personnel, et que ces sommes n’étaient, par conséquent, pas entrées dans la succession de cette dernière à laquelle ils avaient renoncé.

Dès lors, c’est à bon droit que le premier juge a considéré que les sommes ainsi perçues n’avaient pas vocation à être prises en compte pour l’application des tranches du barème de l’imposition due par les petits-enfants du défunt venant dans cette succession en représentation de leurs pères respectifs, l’argument de l’administration fiscale selon lequel ces sommes sont imposables au-delà d’un certain montant et selon la date de leur versement au regard de l’âge de l’assurée étant inopérant puisque cette imposition, si elle venait à s’appliquer, ne concernerait que les renonçants personnellement, et non pas leurs enfants venant en représentation dans la succession […] ».

Il n’y a donc pas lieu pour le calcul des droits de succession à verser par les petits-enfants et la détermination des tranches d’imposition de tenir compte des sommes perçues par les pères renonçants au titre de contrats d’assurance-vie souscrits après les 70 ans du défunt mais il convient en revanche de tenir compte des donations antérieures (de moins de 15 ans) effectuées par la défunte dont ont bénéficiées les pères renonçants.

Les droits de succession seront calculés pour chaque petit enfant comme s’il était le bénéficiaire direct de la succession (BOI-ENR-DMTG-10-50-80 §270). Chaque petit enfant bénéficiera donc de l’application du barème de l’article 777 du CGI ce qui permet de facto de lisser la progressivité de ce barème dès lors qu’il y a au moins deux petits-enfants par souche (et ce même s’il y a lieu de tenir compte des tranches saturées du fait des donations de moins de 15 ans dont ont bénéficiées les pères renonçants).

La renonciation permet de sauter une génération en faisant bénéficier ses propres enfants de la succession. Les petits-enfants reçoivent la totalité de la part de la succession qui aurait normalement dû revenir à leur parent au décès du grand-parent.

La renonciation permet au parent renonçant d’aider ses enfants (sans se déposséder directement comme en cas de réalisation d’une donation) et également d’anticiper sa propre succession, puisque les actifs reçus par les enfants du parent renonçant ne se trouveront pas dans sa propre succession.

La renonciation est également intéressante au plan fiscal puisque les actifs transmis seront soumis une seule fois aux droits de succession (contre deux fois en l’absence de renonciation : imposition aux droits de succession au décès du grand-parent puis imposition aux droits de succession au décès du parent).

Le recours à l’assurance-vie (que le contrat soit souscrit avant ou après les 70 ans du défunt) permet d’effectuer une renonciation « sur mesure » puisque le parent (renonçant) même s’il renonce à la succession peut par ailleurs percevoir des liquidités en étant nommé bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie souscrit par le défunt.