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Abus de droit et soulte, le Tribunal administratif de Paris remet l’église au milieu du village

Le cas des soultes stipulées dans les opérations d’apport de titres a généré un important contentieux avec l’Administration fiscale, cette dernière considérant quasi-systématiquement que ces soultes étaient constitutives d’un abus de droit.

Le Comité de l’abus de droit et les juridictions administratives ont ainsi dû prendre position dans le cadre de nombreux contentieux pour lesquels la question des faits entourant les opérations d’apports de titres avec soultes est déterminante.

Pour mémoire, le dispositif de report d’imposition applicable en cas d’apport à une société contrôlée permettait, jusqu’au 31 décembre 2016, que la plus-value résultant d’une rémunération de l’opération pour partie par une soulte, sous réserve que celle-ci n’excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus, ne soit pas imposable.

L’Administration s’était cependant réservée le droit d’imposer la soulte reçue, dans le cadre de la procédure de l’abus de droit fiscal, dans les cas où l’opération ne présentait pas d’intérêt économique pour la société bénéficiaire de l’apport et était uniquement motivée par la volonté de l’apporteur d’appréhender des liquidités en franchise immédiate d’impôt (BOI-RPPM-PVBMI-30-10-60-10 du 20.12.2019, n°160). Cette position avait même été déclinée dans une fiche figurant sur la « carte des pratiques et montages abusifs » de 2017.

Dans un dossier examiné par le Tribunal administratif de Paris, l’opération d’apport consistait en une restructuration de l’actionnariat familial, en vue d’une introduction en bourse, et ce pour assurer la pérennité de la détention d’un groupe, en regroupant différentes participations au sein de holdings familiales co-contrôlant l’entreprise familiale.

Le versement de la soulte avait ainsi pour objectif de compenser les pertes de liquidité, d’influence et de droits individuels aux dividendes, rendant ainsi l’apport acceptable pour les différents membres de la famille.

Dans son considérant de principe, le Tribunal (TA Paris, 19 juin 2024 n°2112637/1-1) a précisé que la soulte « au sens de l’article 150-B du code général des impôts, ne répond pas nécessairement à un objectif d’ajustement de parité d’échange ainsi que le soutient l’administration mais peut également viser notamment l’adhésion des apporteurs à une opération de restructuration d’entreprises nécessaire à leur développement en déterminant ces derniers, eu égard à leur pouvoir de négociation, à consentir à remettre leurs titres à l’échange et permettre ainsi la conclusion de l’opération de restructuration, en compensant certains désavantages qui pourraient résulter pour eux de l’apport. »

Le Tribunal Administratif de Paris balaye ainsi la conception restrictive de l’Administration fiscale en matière de soulte qui s’est longtemps cantonnée à considérer qu’il s’agissait seulement d’un moyen d’assurer une parité d’échange en cas de rompus, et prend acte de l’intérêt d’un tel dispositif dans le cadre de restructurations d’entreprises avec un objectif d’adhésion des apporteurs à des schémas qui peuvent leur faire perdre certaines prérogatives financières ou en matière de droit de vote.