Blog Droit fiscal

« Depuis 2012, le législateur a adopté une série de mesures visant à réduire les possibilités d’optimisation fiscale agressive que permettent certains montages faisant intervenir des sociétés holdings. » Cet extrait d’un rapport parlementaire [1] illustre le fait que les holdings sont depuis quelque temps la cible de nombreux dispositifs visant (toujours selon le même texte) à« réduire notablement les possibilités d’optimisation fiscale agressive ».

Alors même que, selon diverses sources, plus d’un tiers des PME serait détenue par l’intermédiaire d’une holding (la proportion étant de 62% dans le segment des grosses PME et de la quasi-totalité pour les ETI) la simple détention d’une holding patrimoniale induit-elle désormais l’existence d’un risque fiscal ?

Étonnamment une société holding ne répond à aucune définition juridique précise bien que le droit fiscal lui consacre plusieurs dispositions. En pratique on distingue les holdings animatrices (ou actives), assimilées à des sociétés commerciales (et éligibles à de nombreux dispositifs fiscaux de faveur) et les holdings non animatrices (ou passives), dont l’activité est limitée à la détention de biens immobiliers ou mobiliers (notamment des titres de sociétés et des actifs financiers), activité civile par essence qui en tant que telle ne bénéficie d’aucun avantage fiscal particulier.

Ainsi, une foncière patrimoniale, une société civile de portefeuille ou une SAS ayant vendu ses actifs professionnels (sans envisager de réinvestissement dans d’autres activités commerciales) sont considérées comme de simples holdings patrimoniales dont la valeur des actifs est incluse dans l’assiette ISF de leurs associés.

Paradoxalement il est parfois plus intéressant et ou plus simple de détenir une holding non animatrice soumise à l’IS dans laquelle sont « encapsulés » des bénéfices (dividendes en particulier), permettant d’activer le plafonnement de l’ISF (celui-ci n’étant lui-même pas plafonné), plutôt que de détenir une holding animatrice dont la qualification d’outil de travail exonéré d’ISF reste, malheureusement, toujours incertaine faute de définition fiscale claire.

C’est de ce constat, tenant à l’intérêt de disposer d’une holding patrimoniale passive, qu’est née la clause anti-abus ISF adoptée dans le cadre de la Loi de Finances pour 2017.

I - Le plafonnement de l’ISF et ses enjeux

A/ Rappel historique

Historiquement, le plafonnement de l’ISF permettait aux redevables de réduire le montant de l’impôt dû lorsque le cumul de cette cotisation et de l’Impôt sur le Revenu excédait 70, puis 85% des revenus du contribuable.

L’article 6 de la loi de finances pour 1996 instaura un « plafonnement du plafonnement » pour, synthétiquement, restreindre à 50% de la cotisation brute d’ISF le bénéfice de ce mécanisme.

Le plafonnement fut ensuite supprimé en 2011 lorsque le seuil de déclenchement de l’ISF fut rehaussé à 1,3 M€ et son barème réduit à deux tranches faiblement imposées (0,25 % jusqu’à 3 M€, 0,5% au delà).

Cet ISF « light » fut toutefois de très courte durée puisque l’ISF 2012 a été complété à l’automne 2012 par la « Contribution exceptionnelle sur la fortune » au taux marginal de 1,8%, qui plus est non plafonnée.

Ce non plafonnement de la Contribution exceptionnelle de 2012 ne fut d’ailleurs admis par le Conseil Constitutionnel [2] qu’au regard de son caractère exceptionnel et en prenant soin d’indiquer que : « le législateur ne saurait rétablir un barème de l’impôt de solidarité sur la fortune tel que celui qui était en vigueur avant l’année 2012 sans l’assortir d’un dispositif de plafonnement ou produisant des effets équivalents destinés à éviter une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques ».

C’est dans ce cadre que, depuis le 1er janvier 2013, s’applique à nouveau un ISF « lourd », avec un taux marginal de 1,5% au-delà de 10 M€ (alors-même que les taux de rendement du patrimoine n’ont jamais été aussi faibles) mais également un mécanisme de plafonnement qui permet de limiter le montant cumulé de l’IR, des prélèvements sociaux et de l’ISF à hauteur de 75% des revenus perçus.

Or, malgré les tentatives répétées du législateur fiscal, le plafonnement de l’ISF n’est pas à ce jour lui-même plafonné si bien que même les contribuables les plus fortuné, si l’on en croit certaines sources bien informées [3], parviennent à réduire leur ISF à néant…grâce au plafonnement dont le coût pour le budget de l’Etat dépasserait aujourd’hui 1 milliard €.

Pourtant, le projet de loi de finances pour 2013 (réinstaurant un ISF « lourd ») prévoyait d’élargir la notion de revenus (i) aux bénéfices distribuable des sociétés soumises à l’IS, lorsque le contribuable détenait avec son groupe familial au moins 25 % dans les bénéfices sociaux, même si ce bénéfice n’était pas effectivement distribué aux associés (ii) mais également à la variation de la valeur de rachat des contrats de capitalisation et d’assurance vie…

Marquant le début du rôle majeur du Conseil Constitutionnel dans le débat sur l’ISF, les sages de la rue Montpensier ont néanmoins censuré [4] cette volonté d’élargissement tout azimut de la notion de revenu, considérant qu’il ne pouvait être tenu compte, lors de la détermination du plafonnement de l’ISF, des revenus capitalisés dont le contribuable n’a pas la disposition effective.

Un an plus tard, l’article 13 de la loi de Finances pour 2014 prétendait intégrer au calcul du plafonnement la partie en euros des bons de capitalisation et des contrats d’assurance-vie au motif que ces revenus sont déjà soumis aux prélèvement sociaux sur les produits de placement mais, là encore, le Conseil Constitutionnel opposa sa censure (Décision n°2013-685 DC du 29/12/2013) en invoquant purement et simplement l’autorité de la chose jugée de sa décision n°2012-662.

C’est dans ce contexte que la notion de revenus pris en compte dans le calcul du plafonnement ISF est devenue cruciale pour nombre de contribuables fortunés.

Ceci explique que le recours à divers mécanismes de capitalisation soit devenu très fréquent : avances sur assurances-vie, rachats de contrats d’assurance vie comportant une part importante de capital et faible de produits taxables, thésaurisation des dividendes au sein de structures IS, cession d’actifs exonérés ou peu taxés en vue de la mise en place de comptes-courants...

Poussant la logique jusqu’à l’extrême et profitant de taux d’intérêts historiquement bas, de nombreux contribuables ont également pris l’habitude de financer leur train de vie, voire leurs impôts personnels, au moyen d’avances bancaires (crédits non affectés ou autres) adossées aux actifs ou autres titres de leur holding ou encore aux actifs directement détenus dans des établissements financiers.

C’est dans ce contexte que fut inséré dans le projet de loi de finance pour 2017 un dispositif ISF « anti abus ».

B/ Introduction de la cause anti-abus en matière d’ISF

Au regard des tentatives des années précédentes, certes avortées grâce à l’intervention du Conseil Constitutionnel, et à la vogue de l’empilement des textes luttant contre l’optimisation fiscale, voir le Gouvernement présenter une nouvelle fois une règle de limitation du plafonnement n’était pas surprenant.

D’un point de vue plus juridique, l’insertion dans le projet de loi de finances pour 2017 d’une clause anti-abus ISF intervenait un an après le vote, dans le cadre de la Loi de finances pour 2016, d’un dispositif anti-abus relatif à l’application de la Directive mère-fille.

Ce dispositif, codifié à l’article 119 ter 3. du CGI (auquel renvoie le k de l’article 145 du même Code), avait ainsi donné l’occasion au Conseil Constitutionnel (Décision n° 2015-726 DC du 29 décembre 2015) de valider pour la première fois un mécanisme anti-abus fondé sur la notion de but « principalement fiscal » et ce, au motif qu’il s’agissait d’un texte d’assiette et non d’un texte à finalité répressive, sans pour autant définir précisément la notion de but « principalement fiscal ».

Si ce mécanisme, visant à écarter dans certains cas l’exonération d’IS des dividendes perçus par une holding, n’avait pas vocation à s’appliquer en matière d’ISF (la jurisprudence excluant qu’un mécanisme anti-abus puisse remettre en cause un avantage fiscal ne relevant pas de la Directive protégée par ladite clause anti-abus [5]), la validation du but principalement fiscal pour un texte d’assiette avait évidemment vocation à essaimer.

C’est désormais chose faite avec la nouvelle clause anti-abus en matière d’ISF.

En effet, issu de l’article 4 du projet de la loi de finances pour 2017 (L. fin. 2017, n° 2016-1917, 29 déc. 2016), et devenu l’article 7 au fil des débats parlementaires, le dispositif anti-abus en matière d’ISF (codifié par l’insertion d’un nouvel alinéa à la fin du I de l’article 885 V bis du CGI) vise à réintégrer, pour le calcul du plafonnement, les revenus qui auraient été artificiellement soustraits à l’impôt sur le revenu via l’interposition d’une société contrôlée soumise à l’IS (CGI, art. 885 V bis, I complété) lorsque le tout obéit à un but principalement fiscal...

Le projet de loi indiquait à cet effet qu’ « Il a été constaté parmi les bénéficiaires du plafonnement de l’impôt sur la fortune (ISF), des stratégies d’optimisation fiscale abusive détournant le dispositif de sa finalité.

Certains redevables diminuent leurs facultés contributives (revenus imposables) par capitalisation des revenus de capitaux mobiliers (RCM) dans une société holding patrimoniale interposée (« cash box »).

Leur train de vie courant peut alors être assuré par l’utilisation des liquidités ou de l’épargne disponible, ou encore en ayant recours à l’emprunt.

En effet, à partir d’un certain niveau de patrimoine, les banques ouvrent des lignes de crédit qui sont garanties sur les actifs imposables à l’ISF des redevables emprunteurs (principalement des contrats d’assurance-vie) et qui ne sont remboursables qu’in fine.

Certains redevables peuvent également faire financer par la holding des dépenses se rattachant à leur train de vie. Le présent article vise donc à lutter plus efficacement contre ces pratiques de contournement de la loi, dans lesquelles l’interposition de sociétés holdings vise principalement à optimiser le plafonnement alors que les capacités contributives du contribuable sont accrues notamment par le recours à certains types d’endettement. Les revenus du contribuable artificiellement minorés par le recours à la société holding pourront être, quand de telles pratiques sont avérées, réintégrés dans le calcul du plafonnement.

Le présent article prévoit un ajustement du dispositif de plafonnement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) à hauteur de 75 % des revenus du contribuable afin d’éviter certaines stratégies d’optimisation fiscale abusives ».

Ainsi, le I de l’article 885 V bis du code général des impôts prévoit désormais que :

— les revenus distribués à une société passible de l’IS contrôlée par le redevable sont réintégrés dans le calcul du plafonnement, si l’existence de cette société et le choix d’y recourir ont pour objet principal d’éluder tout ou partie de l’ISF, en bénéficiant d’un avantage fiscal allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité du plafonnement ;

— seule est réintégrée la part des revenus distribués correspondant à une diminution artificielle des revenus pris en compte pour le calcul du plafonnement.

De plus, en cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur ce fondement, le litige pourra être soumis à l’avis du Comité de l’abus de droit fiscal, l’administration fiscale supportant alors la charge de la preuve si elle ne se conforme pas à l’avis du Comité.

Au-delà de composantes qui rappellent la définition d’une infraction pénale (élément intentionnel et matériel) ce qui retient l’attention est bien entendu la notion d’« objet principal », motivation pourtant censurée par le Conseil Constitutionnel dans les décisions précitées de 2012 et 2013 elle-même relatives au plafonnement de l’ISF.

Lors du recours devant le Conseil Constitutionnel quant à la validité de la clause anti-abus en matière d’ISF, le Gouvernement dans ses observations réfuta tout renvoi possible à ces décisions au motif que « ne visant pas à définir une règle générale de détermination du plafonnement mais uniquement à éviter les abus consistant, pour des contribuables soumis à l’impôt de solidarité sur la fortune, à capitaliser les revenus de capitaux mobiliers qu’elles devraient percevoir pour réduire de manière artificielle les revenus pris en compte pour le calcul du plafonnement ».

Autrement dit, selon le Gouvernement lui-même la clause anti-abus en matière d’ISF est un texte visant à sanctionner certains comportements bien plus qu’un texte d’assiette comme l’a pourtant retenu le Conseil Constitutionnel à l’appui de sa décision.

Le Conseil Constitutionnel jugea donc conforme le dispositif [6] dans une décision qui peut paraitre décevante tant les conditions d’application de cette clause anti-abus paraissent imprécises, et plus problématique encore, subjectives, ce qui aurait sans doute pu motiver une censure pour incompétence négative.

Par ailleurs, la validation du critère « principalement fiscal » (par opposition au traditionnel but exclusivement fiscal) au motif qu’il s’agirait d’un texte d’assiette et non à finalité répressive ne convainc pas.

D’abord parce qu’en prévoyant la possibilité d’une saisine du comité de l’abus de droit, le législateur admet implicitement mais nécessairement que le dispositif, dont la philosophie est tout de même de faire fi de l’écran lié à la personne morale que constitue une société IS, est très proche de l’abus de droit au sens de l’article L 64 du Livre des procédures fiscales.

Ensuite, parce que même si cette clause anti-abus n’est pas au sens strict qualifiée d’abus de droit (avec les majorations spécifiques y afférentes), il est évident que l’Administration fiscale, lorsqu’elle mettra en œuvre le dernier alinéa du I de l’article 885 V bis appliquera nécessairement une majoration minimale de 40%...

En réalité, il est manifeste que le législateur fiscal n’a délibérément pas souhaité faire de ce texte une déclinaison de l’abus de droit de droit classique et ce, précisément pour pouvoir prétendre qu’il s’agissant d’un texte d’assiette et ainsi tirer parti de la jurisprudence précitée du Conseil sur l’article 119 ter.

Il est regrettable que le Conseil se soit laissé prendre à cette astuce… proche d’un abus de droit du législateur !

Toujours est-il que le texte a été validé, qu’il s’appliquera à compter de l’ISF 2017 mais que le le Conseil constitutionnel l’a assorti d’une réserve d’interprétation liée au respect des facultés contributives du contribuable [7] qui neutralise en grande partie les effets du dispositif.

II - PERSPECTIVES ET PRATIQUE

A/ Conditions nécessaires à la mise en œuvre de la clause

Dans une démarche pédagogique (sans doute nécessitée par le caractère nébuleux et très subjectif de certaines conditions…) le texte s’articule autour de quatre éléments distincts :

— un élément objectif : la distribution de revenus à une société passible de l’IS contrôlée par le redevable ;

S’agissant de cette notion de contrôle, il semblerait logique de se référer à celle retenue par l’article L. 233-3 du Code de commerce, dont la définition a d’ailleurs été reprise par l’administration fiscale dans ses commentaires du dispositif de l’apport-cession institué par l’article 150-0 B ter du CGI.

Le texte vise par ailleurs les revenus et non pas les plus values. Autrement dit la technique de l’apport-cession (telle qu’encadrée par l’article 150-0 B ter du CGI) ne devrait pas pouvoir être visée par la clause anti-abus ISF.

S’agissant des revenus, rappelons que les revenus distribués comprennent non seulement les distributions consécutives aux décisions des associés statuant sur les résultats de la société mais encore toutes les appréhensions de profits sociaux qui peuvent se dissimuler sous des apparences diverses.

En effet, aux termes de l’articles 109 du CGI les revenus considérés comme distribués s’entendent de tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital et de toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés et non prélevées sur les bénéfices.

Parmi les autres interrogations figure celle tenant au cas de la perception de dividendes par une sous-holding. Au sens strict, ce cas ne nous semble pas devoir être visé par le texte, d’autant que son application pratique serait sans doute très complexe.

— un élément d’intentionnalité : l’existence de la société et le choix d’y recourir ont pour objet principal d’éluder tout ou partie de l’ISF ;

Le législateur n’a pas définit stricto sensu l’« objet principal » mais en a seulement donné des illustrations dans la présentation du projet de Loi.

Gageons que la démonstration d’un tel objet principal ne sera pas aisée pour l’Administration tant la constitution d’une holding peut obéir à des motivations diverses qui toutes peuvent être déterminantes.

Quant au juge de l’impôt il sera lui-même bien en peine d’estimer a posteriori le poids des différentes motivations ayant présidé à la création et à l’utilisation d’une holding.

Il est peu de dire que la sécurité juridique n’est pas assurée par ce nouveau mécanisme anti-abus.

Par ailleurs, dès lors que la création même de la holding doit avoir été motivée par le but d’optimiser le plafonnement de l’ISF, toutes les holdings qui ont été créées soit par un non-résident fiscal à l’époque (donc non plafonnable), soit à une période où n’existait pas de plafonnement de l’ISF (pendant l’année 2012 par exemple) devraient de facto échapper à la clause anti-abus…

Pour les autres sociétés, toute la difficulté sera de justifier de l’existence d’un but principal autre que celui d’éluder ou réduire son ISF…

— un résultat effectif : l’existence de la société permet effectivement de bénéficier d’un avantage fiscal allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité du plafonnement de l’ISF ;

C’est sans doute sur ce point que la réserve interprétative du Conseil Constitutionnel aura les conséquences les plus notables (cf. infra).

— des conséquences pratiques : la part des revenus correspondant à une diminution artificielle est réintégrée dans le calcul du plafonnement. En cas de désaccord, le litige est soumis à l’abus de droit fiscal.

Avant même d’examiner la portée pratique du texte à l’aune de la réserve d’interprétation du Conseil Constitutionnel, soulignons que l’ ambition de clause anti-abus reste très limitée par rapport à tous les mécanismes (énoncés ci-avant) qui permettent à un contribuable de limiter ses revenus à prendre en compte dans le cadre du plafonnement.

En effet seule la technique dite de la « cash-box » ou de « l’encapsulage » des dividendes dans une structure soumise à l’IS est ici visée. De ce point de vue, il n’est pas surprenant que le législateur lui-même ait chiffré à seulement 50M€ les recettes budgétaires supplémentaires susceptible d’être générés par cette clause anti-abus et ce alors-même que comme précédemment indiqué le plafonnement a coût supérieur à 1 Milliard d’Euros [8]

De ce qui précède, il résulte que le dispositif ne jouera qu’en présence d’un montage juridique dont l’objet principal est manifestement de minorer l’ISF.

Il ne s’appliquera donc pas aux sociétés holdings qui exercent une véritable activité ou bien qui sont principalement constituées dans un objectif de transmission patrimoniale, de préservation d’une majorité familiale dans une entreprise, de gestion d’actifs indivis, etc.

De plus, quand bien même l’Administration fiscale parviendrait à faire valoir le caractère principal du but fiscal de la holding, encore faudra-il qu’elle respecte la réserve interprétative émise par le Conseil Constitutionnel.

B/ Effets de la réserve d’interprétation

Sans doute conscient du caractère très subjectif du texte qui lui était soumis le Conseil Constitutionnel a estimé nécessaire, d’assortir sa validation du mécanisme anti-abus ISF de la réserve d’interprétation suivante :

« Toutefois, ces dispositions ne sauraient, sans que soit méconnu le respect des capacités contributives des contribuables, avoir pour effet d’intégrer dans le revenu du contribuable pour le calcul du plafonnement de l’ISF des sommes qui ne correspondent pas à des bénéfices ou revenus que le contribuable a réalisés ou dont il a disposé au cours de la même année d’imposition. En conséquence, la réintégration dans le calcul du plafonnement des revenus distribués à la société contrôlée par le contribuable implique que l’administration démontre que les dépenses ou les revenus de ce dernier sont, au cours de l’année de référence du plafonnement et à hauteur de cette réintégration, assurés, directement ou indirectement, par cette société de manière artificielle » (paragr. 22).

Que faut-il comprendre de cette réserve ? Vraisemblablement que l’Administration fiscale, lorsqu’elle voudra mettre en œuvre le dispositif anti-abus, devra mettre en évidence un lien manifeste, direct ou indirect mais artificiel, entre le train de vie annuel du contribuable et sa holding.

Dans cette conception, le simple fait pour un contribuable plafonné à l’ISF de détenir une holding percevant d’importants dividendes ne sera aucunement suffisant pour appliquer le mécanisme anti-abus dès lors que son train de vie n’a aucun rapport direct ou indirect avec sa holding.

Ainsi, le contribuable plafonné à l’ISF qui possède une holding percevant d’importants dividendes, à ce titre fortement imposé, mais qui vit de son épargne personnelle ne devrait pas être inquiété, ce qui semble parfaitement légitime.

Il devrait en aller de même lorsque le redevable vit « à crédit » grâce à une avance sur son assurance-vie ou au moyen d’une autorisation de découvert garantie par des actifs financiers détenus directement. Dans une telle hypothèse toutefois, l’Administration fiscale pourrait (au moins dans certains cas) avoir recours à l’abus de droit classique au sens de l’article L 64 du LPF.

Pour sa part, le contribuable plafonné à l’ISF, disposant d’une holding percevant d’importants dividendes, est-il susceptible d’être concerné par le dispositif si son train de vie est assuré par le remboursement progressif du compte-courant qu’il possède dans sa holding ?

Nous ne le pensons pas puisque dans un tel cas de figure il ne saurait être prétendu que le train de vie du redevable est assuré de façon « artificielle » par la holding ; le remboursement d’une créance (dès lors que celle-ci est évidement bien réelle), quand bien même le débiteur serait la holding dudit redevable, ne saurait en effet être considéré comme un revenu, même au sens du plafonnement de l’ISF.

A l’inverse, la réserve interprétative du Conseil Constitutionnel vise très manifestement le cas de contribuables dont le train de vie annuel est assuré par un financement accordé en contrepartie d’une garantie prise sur les titres de la holding ou, lorsque la loi applicable le permet, sur les actifs de ladite holding.

Rappelons toutefois qu’en pratique, les établissements financiers privilégient bien souvent des garanties « extérieures » aux actifs sociétaires, car plus aisément mobilisables et liquides, telle la délégation de loyers, le nantissement d’un compte-titres, d’une assurance vie, par ailleurs commodément détenues dans leurs livres et ne dépendant pas des aléas liés à la vie d’une société (fusion, déconfiture, rachat…).

De ce qui précède rien ne semble donc justifier une excessive inquiétude de la part de redevables de l’ISF attendant avec angoisse les commentaires à venir de l’administration sur cette nouvelle clause anti-abus.

Au final, et c’est semble-t-il la conclusion de nombreux praticiens, la clause anti-abus ISF, assortie de la réserve précitée, ne devrait pouvoir s’appliquer qu’à des cas dans lesquels le recours à l’abus de droit de l’article L. 64 du LPF aurait été parfaitement possible pour l’Administration…

Le Gouvernement aura donc enfin réussi à faire valider par le Conseil Constitutionnel un mécanisme limitatif en matière de plafonnement ISF (tel qu’il existe depuis 2013) mais n’aura, ce faisant, remporté qu’une victoire à la Pyrrhus !

Par Wanda Hannecart-Weyth (Artmonia Partners) & Mathieu Le Tacon (Delsol Avocats)

Article à paraître dans Les Nouvelles Fiscales

[1n°3003 du 22 juillet 2015

[2Décision n° 2012-654 DC du 9 août 2012

[3Canard enchainé du 8 juin 2016.

[4décision du 29 décembre 2012 ° 2012-662, consid. 86 à 96

[5CJUE 20 mai 2010, aff. C-3532/08, Modehuis A. Zwijnenburg

[6Décision ° 2016-744 DC du 29 décembre 2016

[7Cons. const., déc. 29 déc. 2016, n° 2016-744)

[8Source ?