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CONTEXTE

Cette fiche pratique a pour objet de souligner que si les points de convergence sont nombreux entre les Pactes dits « Dutreil ISF » et ceux dits « Dutreil Transmission », codifiés respectivement aux articles 885 I Bis et 787 B du CGI, leur articulation est néanmoins complexe.

Cette articulation est une problématique d’autant plus récurrente qu’il est évidement fréquent que le bénéfice du dispositif Dutreil soit sollicité concomitamment par un même actionnaire afin de transmettre à ses descendants les titres de sa société, tout en bénéficiant avant cette transmission d’un abattement de 75% pour l’ISF.

Malgré la volonté affichée ces dernières années par le législateur de rapprocher les deux régimes, la réponse ministérielle Moyne-Bressand du 13 août 2013 (JOAN p.8722) a rendu cette articulation plus délicate encore.

COMMENTAIRES

1. COMPARAISON DES DEUX REGIMES DUTREIL

Similitudes entre Pacte ISF et Transmission
Sociétés concernées exploitantes activité industrielle, commerciale (y compris holdings animatrices), artisanale, agricole, libérale
interposées simple ou double niveau d’interposition
Engagement collectif signataires Personne physique : le défunt, le donateur ou le redevable de l’ISF et au moins un autre associé de la société d’exploitation

Titres démembrés : engagement collectif signé à la fois par le nu-propriétaire et l’usufruitier

Personne morale : simple ou double niveau d’interposition
formalisation de l’engagement Acte authentique ou sous seing privé enregistré
durée Durée minimale de deux ans
quota minimum de titres 20% des droits financiers et des droits de vote si société cotée, 34% à défaut
Fonctions exercées par les signataires Exercice continu et effectif de fonctions de direction par l’un des signataires (ou l’un de leurs ayants cause à titre gratuit) :

  • d’une activité professionnelle principale de nature industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale (article 885 O bis, 1° du CGI)
  • ou d’une fonction de direction

Les similitudes entre les Pactes Dutreil ISF et Transmission sont telles que selon l’Administration elle-même (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n°60) « l’engagement collectif pris en application de l’article 787 B du CGI peut valoir engagement collectif pour l’impôt de solidarité sur la fortune (régime d’exonération partielle prévu à l’article 885 I bis du CGI) et inversement ».

Un engagement Dutreil expressément conclu pour réduire l’ISF soit peut donc être utilisé pour revendiquer l’abattement propre aux transmissions à titre gratuit et inversement.

Cette souplesse peut être utile dans le cas où :

  • Un Pacte ISF, en cours d’engagement collectif, aurait été conclu par un contribuable (non susceptible de revendiquer un Pacte Transmission réputé acquis) souhaitant procéder à une donation en bénéficiant de l’antériorité de l’engagement collectif du Pacte ISF ;
  • Un Pacte Transmission en cours d’engagement collectif depuis plus de 6 ans ( i.e. Pacte « préventif ») peut permettre à un contribuable d’invoquer celui-ci (par exemple parce qu’il vient de perdre le bénéfice de l’exonération ISF outil de travail) pour bénéficier d’un abattement Dutreil ISF de 75%, insusceptible d’être rétroactivement remis en cause si l’année suivante les titres sont cédés ou donnés.

Pour autant, il est recommandé de conclure deux pactes distincts compte tenu des divergences entre ces deux régimes.

Il est en effet souvent complexe de gérer au sein d’une même famille les problématiques qui concernent d’une part l’ISF, d’autre part les droits de mutation à titre gratuit au point qu’il arrive que plusieurs Pactes ISF et/ou Transmission coexistent au sein d’une même famille (ce qu’admet l’Administration fiscale, BOI-PAT-ISF-30-40-60-10 n°160).

Parmi les principales différences entre les Pactes ISF et Transmission rappelons :

  • Qu’il existe un mécanisme de « Dutreil réputé acquis » propre au Pacte Transmission qui n’est pas transposable en Dutreil ISF.
  • Que l’appréciation de la durée globale de 5 ans des fonctions de direction à assurer par l’un des membres du Pacte s’apprécie de façon différente :
    • En Pacte Transmission ; les fonctions de direction doivent être assurée pendant toute la durée de l’engagement collectif et pendant les trois ans qui suivent la date de la transmission ;
    • En Pacte ISF ; les fonctions de direction doivent être assurée pendant 5 ans à compter de la conclusion de l’engagement de conservation ;
    • Il en résulte qu’il n’y a pas de correspondance parfaite de la durée d’exercice des fonctions de direction à respecter ; tel est notamment le cas en présence d’un Pacte Dutreil Transmission préventif avec un engagement collectif d’une durée effective supérieure à deux ans.

2. ARTICULATION DES DEUX MECANISMES

Plusieurs exemples permettent d’illustrer la difficile articulation entre les pactes ISF et Transmission.

  • La durée optimale de l’engagement collectif

L’une des raisons qui justifie qu’il n’est pas optimal de disposer d’un seul engagement de conservation utilisable à la fois pour l’ISF et la transmission tient à la gestion de la durée de l’engagement collectif.

En effet si dans les deux Pactes la durée peut excéder la durée minimale légale de deux ans, il peut dans certains cas être opportun de proroger cette durée minimum légale et dans d’autres non.

En règle générale la durée optimale de l’engagement collectif d’un Pacte Dutreil Transmission est la durée minimale légale de 2 ans : dans le cas de la mise en place d’un Pacte Dutreil Transmission et d’une donation intervenant immédiatement après, avoir une durée d’engagement collectif de deux ans permet en effet de faire courir le délai d’engagement individuel au plus tôt.

En matière de Pacte ISF, la gestion de la durée de l’engagement est en principe différente puisque ce qui importe est d’avoir une durée minimale d’engagement collectif de deux ans et une durée globale de conservation individuelle par le redevable de l’ISF d’au moins six ans. L’allongement de la durée de l’engagement collectif n’a donc pas pour effet de prolonger d’autant le décompte de la durée globale de 6 ans.

En pratique, il est souvent recommandé de mettre en place un Pacte ISF avec un engagement collectif de 6 ans au motif que la période d’engagement collectif est plus favorable que la période individuelle, en particulier parce que le b) de l’article 885 I bis du CGI prévoit expressément que « les associés de l’engagement collectif peuvent effectuer entre eux des cessions ou donations de titres soumis à l’engagement ».

En application de la lettre de cette disposition, tous les praticiens estimaient que la cession ou transmission de titres entre signataires du Pacte ou ayants-cause pendant la période d’engagement collectif devait être une opération parfaitement neutre et donc ne devait avoir ni pour effet de remettre en cause l’engagement Dutreil ni d’effet négatif pour le cédant.

C’est la raison pour laquelle il était souvent recommandé de mettre en place un Pacte Dutreil ISF avec un engagement collectif de 6 ans permettant ainsi à celui-ci de « respirer ».

Cette analyse a été remise en cause par la réponse Moyne-Bressand qui indique que la cession même d’un seul titre engagé au profit d’un autre membre de l’engagement collectif en cours a pour effet de remettre en cause l’exonération Dutreil ISF pour l’ensemble des titres engagés par le cédant, y compris donc pour ceux qu’il conserverait.

La rigueur de cette position a été (à juste titre) critiquée mais l’intérêt de stipuler une période d’engagement collectif de 6 ans dans un Pacte ISF est pour l’heure incertain.

  • Sort de l’engagement Dutreil ISF en cas de donation de la nue-propriété des titres engagés

Exemple : Des titres sont placés concomitamment par un couple dans un Pacte ISF et dans un Pacte Transmission.

Avant l’expiration de l’engagement collectif de deux ans, les parents transmettent la nue-propriété de tout ou partie des titres à leurs enfants.

Cette transmission est-elle de nature à remettre en cause l’exonération Dutreil ISF du couple ?

Dès lors que l’article 885 I bis du CGI indique que l’engagement collectif est pris par le contribuable « pour lui et ses ayants cause à titre gratuit » et que par ailleurs « les associés de l’engagement collectif de conservation peuvent effectuer entre eux des cessions ou des donations de titres soumis à l’engagement  » la donation de la nue-propriété ici envisagée ne devrait en principe pas remettre en cause l’exonération Dutreil ISF du couple.

Néanmoins, là encore la réponse ministérielle Moyne-Bressand sème le trouble bien que l’on puisse soutenir que la pleine-propriété des titres reste incluse dans l’engagement en cours et que l’on se retrouve alors dans la même situation que si parents et enfants avaient engagés dans une Pacte ISF des titres préalablement démembrés (ce qui est admis par l’Administration).

  • Conséquences d’une donation de titres engagés

En l’état la réponse ministérielle Moyne-Bressand pose des difficultés supplémentaires d’articulation entre les Pactes ISF et Transmission dans l’hypothèse d’une donation en cours d’engagement collectif.

Par exemple, un parent qui transmet à ses enfants 50% des titres engagés au cours des deux ans de l’engagement collectif perdra, pour le passé et l’avenir, le bénéfice de l’abattement ISF sur les titres qu’il conserve.

La parade, suggérée d’ailleurs par la réponse ministérielle elle-même, consiste à anticiper la transmission et à placer les titres non destinés à être transmis dans un Pacte ISF spécifique. Cette parade n’est cependant que partielle puisque l’exonération sera remise en cause pour le passé sauf si le délai global de conservation de 6 ans était atteint à la date de la donation.